L’évaluation judiciaire de la légitimité des mariages par la section d’appel de l’immigration – Rapport statistique

Anne-Marie D'Aoust Olivier Grondin, Paola Vegas, Véronique Pronovost.

Rapport statistique de l’analyse des décisions de la section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (1er janvier 2003 – 31 décembre 2017)


Faits saillants du rapport

  • Porter une demande en appel comporte un pourcentage important de succès : sur l’ensemble des décisions étudiées, on note en appel de décision un taux d’avis favorable de 43% et un taux de refus d’environ 57%. Seulement 41% des demandes portées en appel (164 demandes sur 402) ont été refusées, car jugées frauduleuses.
  • Le bureau où la demande est soumise ne semble pas influer sur le résultat de la demande. C’est à Toronto que l’on retrouve le plus de conclusions favorables. En parallèle, c’est aussi le bureau où le plus de mariages sont jugés frauduleux. C’est à Vancouver que l’on retrouve le plus grand taux de demandes refusées. Montréal est la ville où le moins de demandes est envoyé, et le bureau présente un ratio de 56,25% de conclusions favorables et 43,75% des demandes non favorables. Déposer une demande à Montréal pourrait offrir un avantage si on considère la vitesse de traitement, vu la quantité moindre de demandes déposées.
  • Malgré des changements législatifs importants concernant les demandes de parrainages dès 2010, l’année du dépôt de la demande n’a pas influé sur le traitement : on ne remarque ainsi pas un traitement plus « sévère » des demandes sous un gouvernement conservateur, par exemple, ou un plus haut taux d’acceptation avant 2010.
  • Dans notre corpus, 41,8% des personnes appelantes sont des femmes et 58,2% des personnes demandeuses sont des hommes. La totalité des décisions évaluées dans la base de données portant sur des relations hétérosexuelles, il en résulte que la somme de ces deux pourcentages soit égale à 100.
  • Les couples non hétérosexuels sont statistiquement sous-représentés dans les demandes portées en appel. Ce résultat surprenant semble suggérer que ces couples éveillent moins les soupçons chez les autorités et/ou que les couples non hétérosexuels dont la demande est initialement refusée pour soupçon de fraude ne portent pas leur demande en appel. Ce résultat surprenant suggère également la nécessite d’approfondir plus en détails les quelques cas portés en appel au fil des années et d’appliquer une grille de lecture intersectionnelle pour en comprendre la signification.
  • La majorité des personnes appelantes (57%) ont déjà été mariés dans le cadre d’une relation précédente. Les antécédents conjugaux de la personne appelante ne semblent donc pas avoir d’influence sur la confiance du ou de la juge. En d’autres mots, nos données ne supportent pas l’hypothèse qu’il existe un lien entre les antécédents maritaux et la conclusion du ou de la juge
  • Paradoxalement, le fait pour une personne demandeuse d’avoir été marié au moins une fois par le passé semble influencer la décision du ou de la juge. En effet, le taux de refus de cette catégorie (65%) est de 12% supérieur au taux de refus pour les personnes demandeuses dont les antécédents conjugaux ne sont pas mentionnés ou qui n’ont pas été marié précédemment (53%).
  • Les personnes appelantes avaient en moyenne 44 ans au moment de l’audience, donc sont généralement plus âgées qu’anticipé (25-35 ans). On constate ainsi que la majorité des demandes impliquent des personnes dont il s’agit au moins du deuxième mariage. Cependant, la majorité des personnes appelantes se situaient dans la tranche d’âge 25-44 ans, soit en âge de fonder une famille.
  • Le taux de refus des hommes demandeurs est supérieur aux femmes demandeuses. Ainsi, les conjointes de hommes ayant porté leur dossier en appel ont reçu une réponse négative dans 54% des cas recensés (234 sur 402). Chez les hommes demandeurs (168 cas sur 402), le pourcentage de refus passe à 60%. Qui plus est, il semble y avoir un effet bénéfique au fait d’expliquer pourquoi l’homme rejoint la femme au Canada, ce qui laisse croire que des stéréotypes fondés sur le genre puissent expliquer le taux de refus plus élevé lorsque les hommes tentent de rejoindre leur partenaire canadienne.
  • Les relations impliquant une personne demandeuse provenant des États-Unis et du Royaume sont sous-représentées dans notre échantillon, considérant que les données de Statistiques Canada le plus à jour sur le sujet indiquaient en 2014 que ces deux pays comptaient parmi les six plus récurrents des personnes demandeuses. Ceci confirme que les relations où la personne parrainée a une résidence permanente dans un État occidental sont considérées comme moins suspectes et sont peu soumises à une procédure judiciaire de démonstration de la légitimité de leurs relations.
  • Les relations de personnes demandeuses provenant d’Inde sont jugées légitimes à hauteur de 54%, avec 34 avis favorables sur 64 demandes au total. Cela représente un taux supérieur à la moyenne générale des demandes, un résultat surprenant considérant qu’IRCC avait classé l’Inde comme pays « à risque.
  • Les pays avec le plus haut taux de refus ne sont pas ceux d’où émanent le plus de demandes. Le pays d’origine avec le taux de refus le plus élevé est le Nigéria, avec 80% de conclusions négatives (8 refus sur 10 demandes). L’Éthiopie est le second pays avec le taux de refus le plus élevé, avec 73% de conclusions négatives (8 refus sur 11 demandes). Les personnes originaires de Chine et d’Inde sont celles qui génèrent le plus grand nombre de demandes. Dans notre étude, on compte 42 refus et 33 avis favorables, sur un total de75 demandes. Ce sont donc 56% des demandes des personnes originaires de Chine dont les demandes sont refusées.
  • Les pays qui ont été évalués comme étant à risque » de mariage frauduleux par IRCC ne sont pas nécessairement ceux qui correspondent au plus grand taux de refus dans notre étude. Ainsi, la Guyane, le Cambodge et Haïti, identifiés dans la liste d’IRCC, ne figurent pas dans notre décompte des pays ayant les plus haut de refus. Il est cependant possible que cette absence s’explique par le fait que les couples impliquant une personne demandeuse provenant d’un de ces pays ne porte pas leur dossier en appel à la suite d’un refus initial.
  • Le fait d’avoir un enfant ensemble ne constitue pas un élément crucial à une évaluation positive à une demande. 49% des demandes où la personne demandeuse a un enfant ont obtenu une conclusion positive. Dans les cas où la personne demandeuse n’a pas d’enfants, la proportion des décisions favorables diminue à 44%. Lorsque l’information est ambiguë ou qu’elle n’est pas précisée, le taux de succès diminue à 35%.
  • Les mariages arrangés ne semblent pas systématiquement évalués plus défavorablement que les autres. Lorsque le mariage a été jugé arrangé (61 cas sur 402), le taux de décisions favorables a été de 48%. Dans le cas de figure où le mariage était identifié comme non arrangé ou que la réponse à ce sujet n’était pas précisée, l’appel a été accueilli l’appel dans 45% des cas.
  • Une période de fréquentation plus longue (plus d’un an) n’est pas corrélée par un taux de succès plus élevé. Nous constatons que les fréquentations ayant durées moins d’un an avant la demande en mariage ont reçu des avis favorables dans 43% des cas, contre 55% des cas qui ont reçu un avis défavorable. Or, lorsque l’on observe les décisions totales, nous pouvons voir que sur 402 cas, 43% des décisions résultent en une conclusion positive et environ 57% en une conclusion défavorable.
  • Un écart de temps plus élevé entre le mariage et la demande de parrainage n’est pas corrélé avec une augmentation de la probabilité d’une décision favorable.
  • Il n’y a pas de corrélation statistiquement significative entre le fait que les rapports sexuels et les projets familiaux du couple soient discutés lors de la procédure ainsi que le taux de succès d’une demande.
  • La présence des membres de la famille lors du mariage est un élément significatif affectant la crédibilité de la relation. Même si plus de la moitié des décisions étudiées n’abordaient pas directement la question de la présence des membres de la famille (222 cas sur 402), on relève que dans les cas de déclarations contradictoires des partenaires en ce qui concerne la présence des membres de leurs familles au mariage (30 cas sur 402), le taux de rejet de l’appel est de 97%. Similairement, le taux de rejet lorsque les membres des 2 familles sont absentes (33 cas sur 402) est de 76%. Inversement, lorsque les membres des 2 familles sont présentes (56 cas sur 402), le taux de rejet n’est que de 29%.
  • L’ambigüité et le manque de cohérence entre les réponses des conjoint·e·s est ce qui semble surtout avoir un impact significatif dans la décision, plutôt qu’une variable isolée en soi. Une étude plus approfondie des variables serait nécessaire pour voir si le croisement ou la combinaison de certaines d’entre elles s’avéreraient décisives.

Le rapport statistique est disponible en libre accès:



Grondin, Olivier; Vegas, Paola et Pronovost, Véronique, sous la direction d’Anne-Marie D’Aoust. (2024). L’évaluation judiciaire de la légitimité des mariages par la section d’appel de l’immigration: Rapport statistique de l’analyse des décisions de la section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (1er janvier 2003 – 31 décembre 2017). Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ).

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