Au Québec, la circonstance que le principe de laïcité n’est pas énoncé dans une norme juridique a certainement permis d’importantes avancées dans le champ de la sociologie de la laïcité. En effet, elle imposait de facto d’appréhender la laïcité dans sa dimension évolutive et non figée afin d’en retracer l’effectivité dans la régulation par l’État de la question religieuse. À partir d’enquêtes socio-historiques, plusieurs contributions ont ainsi mis en lumière le lent processus de laïcisation par lequel l’État et ses institutions se sont progressivement dissociés des normativités religieuses (Milot, 2002 ; Lamonde, 2010). D’importants apports théoriques ont également été produits à l’issue du premier débat québécois sur les pratiques d’accommodements raisonnables (2006-2008), contribuant toujours plus à souligner le caractère dynamique de la laïcité dans la gouvernance étatique (Bouchard et Taylor, 2008 ; Milot, 2008 ; Maclure et Taylor, 2010).
Ces travaux nous démontrent, premièrement, que le processus de laïcisation de l’État et de ses institutions ne découle pas toujours de l’adoption formelle d’une loi de séparation. Rares sont d’ailleurs les États qui, à l’instar de la Turquie, du Japon, de la France ou du Bénin ont affirmé le principe même de laïcité aux fondements de leurs principes constitutionnels. Les recherches sur la laïcité québécoise nous enseignent par ailleurs que le processus de laïcisation n’est pas nécessairement de nature conflictuelle, mettant en opposition forces confessionnelles et institutions de l’État. Si les représentations de la laïcité émergent le plus souvent dans des contextes de tensions ou d’ « incidents » qui marquent les esprits, c’est pourtant le plus souvent en vertu d’aménagements « tranquilles » du droit (jurisprudence des tribunaux) que la laïcité prend forme dans la gouvernance de l’État (Woehrling, 2008). Plusieurs enquêtes nous montrent enfin que la laïcisation de l’État peut prendre corps dans des projets normatifs suivant les évolutions de la société, à l’instar des lois sur la bioéthique ou de la légalisation du mariage entre conjoints du même sexe. Dans ces contextes, et alors même que de telles lois ne sont pas identifiées dans les débats publics en tant que lois de laïcité ou, moins directement, en tant que lois contribuant à un mouvement de laïcisation, c’est pourtant bien d’une séparation progressive des normativités religieuses et étatiques qu’il s’agit.
Traditionnellement, la laïcité au Québec s’est construite par une distanciation de la gouvernance de l’État et de la norme juridique avec des normativités chrétiennes, voire catholiques. Concomitante au processus de sécularisation de la société amorcé avec la Révolution tranquille, la laïcisation s’est en effet opérée, tantôt en dialogue (Roy, 2014), tantôt en opposition (Bienvenue, 2003) ou, comme dans le cas unique des Affaires culturelles, sans même faire l’objet d’un débat (Lamonde, 2013) avec les milieux catholiques du Québec. Mais dans tous ces contextes, ces derniers ont bien été de véritables acteurs directs ou indirects de ces moments de laïcisation.
Aujourd’hui, les débats sur la laïcité se sont déplacés. Si certains ont toujours trait aux normativités religieuses chrétiennes (mariage entre conjoints de même sexe ; débat « Mourir dans la dignité » ; affaire du crucifix et de la prière à la ville de Saguenay), c’est le plus souvent à la faveur d’enjeux relatifs à la visibilité d’un religieux qui n’est pas normalisé dans la culture de la société, voire de la Nation, que la laïcité gagne en popularité dans les discussions publiques. Et l’on observe que de nouveaux acteurs sociaux, qui parfois n’avaient jamais pris position sur la laïcité à l’instar de partis politiques, de représentants de certaines confessions religieuses (associations musulmanes, sikhes), des groupes homosexuels, des groupes féministes ou d’organisations syndicales, se sont sporadiquement engagés dans les débats sur la laïcité, générant occasionnellement des « coalitions improbables » au regard des stratégies discursives qu’ils décidaient d’adopter (Maclure, 2008). Ces acteurs sociaux ont alors élaboré de nouveaux discours et associé à la laïcité de nouveaux vocabulaires porteurs de valeurs parfois ignorées des aménagements juridiques traditionnels.
Nombreuses sont les recherches qui ont entamé des analyses du positionnement de ces nombreux acteurs dans les récents débats (Koussens, 2009 ; Lamy, 2015 ; St-Onge, 2015 ; Côté et Mathieu, à paraître ; Beaman et Smith, à paraître ; Dalpé et Koussens, à paraître). Toutefois, à notre connaissance, très peu de travaux ont à ce jour questionné les multiples rôles et positionnements des acteurs catholiques québécois dans les processus de laïcisation de l’État au cours des cinquante dernières années. Ce sont ces rôles et positionnements que ce colloque propose désormais d’interroger en articulant la réflexion autour de deux périodes.
Dans un premier temps, nous poserons un regard réflexif sur le chemin parcouru au cours d’une période (1959-1998) encadrée, d’une part, par l’effervescence socio-ecclésiale qui initie le processus de laïcisation, d’autre part, par la remise du Rapport Proulx qui recommande la déconfessionnalisation du système scolaire québécois.
Comment les milieux catholiques ont-ils accompagné, se sont-ils opposés ou sont-ils demeurés en retrait face aux avancées laïques depuis la Révolution tranquille ? Dans quelle mesure les configurations successives de l’Église romaine depuis l’annonce du concile Vatican II ont-elles trouvé écho dans les milieux catholiques québécois et favorisé leur participation, directe ou indirecte, au processus de laïcisation de l’État ? Dans ce contexte, quels outils ecclésiaux ont été mobilisés pour, le cas échéant, soutenir ou contrecarrer les transformations sociétales et politiques du Québec ?
La seconde période (2003-2015) abordera une nouvelle phase de la laïcité québécoise où celle-ci se construit autour d’enjeux polémiques à caractère sociétal, qu’il s’agisse de choix d’ordre éthique, voire bioéthique, ou de la visibilité du religieux dans la sphère publique.
Comment les milieux catholiques prennent-ils position dans les débats les plus récents sur la laïcité ? Dans quelle mesure les catholiques mobilisent-ils aujourd’hui de nouveaux outils ecclésiaux qui favorisent, pour certains, des prises de positions plus réactionnaires au regard des logiques de séparation des champs du politique et du religieux ? Que nous apprend l’analyse des prises de position des acteurs catholiques du point de vue des luttes idéologiques internes au sein de l’institution ecclésiale ?
Programme:
Jeudi 1erdécembre | |
8 h 30 à 9 h | Accueil et café |
9 h à 9 h 15 | Mot de bienvenue |
9 h 15 à 9 h 30 | Introduction David Koussens, Faculté de droit et Centre d’études du religieux contemporain, Université de SherbrookeCatherine Foisy, Département de sciences des religions, Université du Québec à Montréal |
9 h 30 à10 h 30 | Conférence d’ouvertureLe consentement des catholiques du Québec et de son épiscopat à la laïcité (1960-2008) : un parcours contrasté Gilles Routhier, Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval |
10 h 30 à 10 h 45 | Pause-café |
10 h 45 à 12 h 15 | PANEL 1 – Les Catholiques québécois et la laïcisation tranquille (1959-1998)Présidence Marie-Andrée Roy, Département de sciences des religions, Université du Québec à MontréalUne protolaïcité au Québec? Raymond Lemieux, Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université LavalLes acteurs catholiques et le processus d’émergence des politiques publiques sanitaires et sociales dans le Québec de la Révolution tranquille Jacques Palard, Centre Émile Durkheim-CNRS, Bordeaux Médiance de l’espace symbolique québécois : l’empreinte du catholicisme |
12 h 15 à14 h | Lunch |
14 h à 15 h | PANEL 2 – État, religion et éducationPrésidence Jean-Pierre Proulx, Faculté des sciences de l’éducation, Université de MontréalConfessionnalité et laïcité dans la mire du Rapport Parent Guy Rocher, Département de sociologie, Université de MontréalEntre contestation et « collaboration vigilante » : les réactions de l’Assemblée des évêques à la mise en place du cours ECR Stéphanie Tremblay, Département de sciences des religions, Université du Québec à Montréal |
15 h À15 h 30 | Pause-café |
15 h 30 à 16 h 30 | PANEL 3 – Les Catholiques québécois et les enjeux éthiques (2003-2016)Présidence Louis Rousseau, Département de sciences des religions, Université du Québec à MontréalLa redéfinition du mariage civil comme enjeu de laïcité. Positions des catholiques québécois David Koussens, Faculté de droit et Centre d’études du religieux contemporain, Université de SherbrookeAide médicale à mourir au Québec et au Canada. Éléments de réflexion dans l’optique de maintenir un dialogue entre les positions magistérielles catholiques et les récents développements en éthique des soins de vie Mireille D’Astous, Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval |
Vendredi 2 décembre | |
9 h à 11 h | PANEL 4 – Les Catholiques québécois et diversité culturelle et religieuse (2003-2016)Le catholicisme moderne de Charles Taylor et la laïcité au Québec Bernard Gagnon, Département des lettres et humanités, Université du Québec à RimouskiLes arrêts C.S. DesChênes et Loyola : quand la valeur du pluralisme culturel perce le principe de l’autonomie confessionnelle Louis-Philippe Lampron, Faculté de Droit, Université LavalLe droit est-il transparent à lui-même? Une sociologie internormative et sociohistorique du procès Ville de Saguenay c. Mouvement laïque québécois Jean-François Laniel, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal Entre spectre et dialogue : le catholicisme et les catholiques québécois face à la laïcité |
11 h À11 h 30 | Pause-café |
11 h 30 à12 h 15 |
Conférence de clôture« Quand les microbrasseries parlent aux Québécois ». Réflexions sur l’imaginaire religieux dans l’univers brassicole au Québec Sara Teinturier, Faculté de théologie et de sciences des religions, Université de Montréal |