La société des identités. Éthique et politique dans le monde contemporain

Résumé

Nous avons l’habitude d’aborder l’analyse des sociétés modernes en évoquant l’influence que la mondialisation exerce sur elles. Mais les mutations des sociétés contemporaines ne se limitent pas à cette question, aussi déterminante soit-elle. C’est la signification de leur «être-ensemble» qui impose aujourd’hui à nos sociétés leurs plus grands tourments au moment où elles sont traversées par un ensemble de forces déstructurantes.

L’une des manifestations de ces forces déstructurantes réside dans la formulation de demandes, toujours plus nombreuses, portées par des groupes dont le principe de regroupement est l’identité (ethnique, religieuse, sexuelle, générationnelle, etc.). Dans nos sociétés, la différence est élevée au rang de valeur éthique et de principe de régulation des rapports sociaux. Rien ne commande aussi impérativement le respect que l’affirmation d’une différence, d’une identité singulière à laquelle on accrochera parfois un lot de conséquences défavorables. Identité et droits ont ainsi partie liée avec les formes nouvelles de la citoyenneté.

Mais, la fragmentation de la communauté politique engendrée par cette ouverture au «particulier» signale la difficulté de former un projet politique qui puisse nous rassembler autour d’une certaine idée du bien commun. Si la reconnaissance sociale et les politiques antidiscriminatoires constituent l’aspect le plus positif des mutations contemporaines du politique, on peut dire que la relative dissolution d’un sujet politique unitaire et rassembleur en représente la conséquence peut-être la plus négative.

L’affirmation identitaire n’assène-t-elle pas un coup fatal à tout espoir de rassemblement de la diversité sous la figure de l’universel? Ne lance-t-elle pas une course aux droits dont l’unique objectif résiderait pour les identités qui s’y engagent dans un meilleur positionnement social? Ces questions inquiètes sont au cœur de cet essai. Il vise à illustrer le danger que recèle la fragmentation de la communauté politique quant à la possibilité de former en elle un projet de vivre-ensemble.

Auteur

Jacques Beauchemin: art30] est professeur titulaire de sociologie à l’Université du Québec à Montréal.

Table des matières

Avant-propos

Introduction – Une société sans projet

L’individualisme comme horizon éthique

La citoyenneté particulariste comme horizon politique

Quel vivre-ensemble dans une communauté politique divisée?

Chapitre 1 – La communauté politique dans la société moderne

La nation comme sujet politique

La critique postcoloniale du sujet politique universaliste

La communauté politique en morceaux

Chapitre 2 – Le pluralisme identitaire et la recomposition de la communauté politique

Le pluralisme identitaire et le discrédit du sujet politique unitaire

La reconnaissance sociale en tant que pilier éthique des sociétés
pluralistes

Le mépris et sa réparation

La fonction de reconnaissance de l’État

Quand les rapports sociaux deviennent des rapports interindividuels

Des revendications identitaires en quête de légitimité

Chapitre 3 – La démocratie des identités

Triomphe et crise de la démocratie

Une représentation nouvelle de la démocratie

Entre l’affirmation du sujet et la défense de la communauté

Le triomphe de la société empirique sur la communauté politique

Représentation et représentativité

La crise de la démocratie représentative

Une démocratie à la hauteur des sujets

Société civile et contre-démocratie

Une citoyenneté de contre-sujets

Une démocratie sans monde commun

Chapitre 4 – Quand l’éthique se substitue au politique

Une sociologie obsédée d’éthique

Éthique et politique

L’intersubjectivité comme fondement du rapport éthique au monde

La refondation du politique sous la forme de l’éthique: quatre approches

La responsabilité comme horizon

Le pragmatisme comme moyen

Une sortie du politique

Le politique comme dépassement de la relation éthique de soi à l’autre

Du sujet moral à la société: vers une sociologie de l’éthique

Chapitre 5 – Les éthiques postmodernes et le déni du politique

Une éthique sociale postmoderne

Une critique des perspectives éthiques inspirées des théories de la postmodernité

Chapitre 6 – La désagrégation du monde commun

Le politique comme esthétique

La judiciarisation du politique

Le droit en l’absence du sujet politique

Un rapport instrumental aux institutions

L’anonymat de la règle garante de l’égalité devant l’institution

Chapitre 7 – Pour une défense du politique

L’éthique n’est pas une politique

La dépolitisation des rapports sociaux

Le respect de la dignité humaine n’est pas une politique

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