Penser le Québec d’après la COVID-19
Une fois gagnée « la bataille collective la plus importante de nos vies », selon les mots de François Legault, la société québécoise fera face à des défis énormes. La Presse+ a demandé à Guy Laforest et Jean-Philippe Warren de coordonner un dossier prospectif donnant la parole à des chercheuses et des chercheurs venu.e.s de différents horizons des sciences sociales et humaines de nous donner la mesure de ce qui attend le Québec dans un avenir rapproché.
Lisez les textes de nos membres, Alain Noël, Mireille Paquet, Alain-G. Gagnon, Guy Laforest et Jean-Philippe Warren.
Mieux partager les risques
La pandémie actuelle menace tous les Québécois, directement ou indirectement. Mais ses effets sont loin d’être équitablement répartis. Pendant que certains maintiennent leurs revenus et font du télétravail bien à l’abri, d’autres perdent leur emploi ou s’exposent davantage, souvent pour de petits salaires. La mise sur pause de l’économie québécoise fait ressortir les lacunes de nos mécanismes de distribution et de redistribution du revenu. Les gouvernements improvisent pour colmater les brèches, mais à l’autre bout de l’arc-en-ciel, il faudra revoir tout ça, en gardant à l’esprit que c’est « tous ensemble » que nous aurons passé au travers.
— Alain Noël, président du Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion de 2006 à 2014, Université de Montréal
Rester ouverts à l’immigration
La régulation et le contrôle des mobilités humaines – à l’échelle locale et internationale – sont au cœur des réponses étatiques à la COVID-19. Au sortir de cette période, il faudra rester vigilant pour mesurer non seulement les avantages, mais aussi les drames issus des confinements en camps de réfugiés et, plus largement, des inégalités mondiales en matière de privilèges migratoires entre le Nord et le Sud global. Pour le Québec, le défi sera avant tout de trouver la force de demeurer ouvert à l’immigration face à une population anxieuse, et ce, surtout si l’argument des pénuries de main-d’œuvre est démenti par une crise économique.
— Mireille Paquet, titulaire de la Chaire de recherche sur la politique de l’immigration ; Catherine Xhardez, du Centre pour l’étude de la politique et de l’immigration, Université Concordia
Fédéralisme et concertation
Le Québec est-il mieux équipé que d’autres espaces nationaux pour répondre à la crise sanitaire ? Le partage des pouvoirs au sein de fédération fait en sorte que les responsabilités sociales relèvent prioritairement du gouvernement du Québec. Dans ce contexte, il importe d’identifier les facteurs les plus à même de favoriser une bonne gestion de la crise en réévaluant les relations fédérales-provinciales. Parmi ces facteurs, quatre semblent devoir s’imposer : le retour de la souveraineté nationale ; l’arrêt des pratiques favorisant le profit sans égard pour les risques sanitaires ; l’inversion des processus de mondialisation et la valorisation des décisions prises à l’échelle locale et régionale.
— Alain-G. Gagnon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes, UQAM
Briser les solitudes
Depuis plusieurs années, on parle d’une « épidémie de solitude ». Le Québec en a été frappé comme les autres sociétés occidentales : désormais, ici même, c’est le tiers des gens qui vivent seuls. Il est vrai que la crise actuelle de la COVID-19 a favorisé un immense élan de solidarité. Toutefois, en même temps, elle a poussé les gens à s’isoler et à pratiquer une sévère distanciation sociale. La peur du contact humain persistera-t-elle dans les années à venir ? Les écrans remplaceront-ils durablement les interactions directes ? Face à ces questions, il faut considérer plus que jamais la solitude comme un problème de santé publique.
— Guy Laforest, directeur général de l’ENAP ; Jean-Philippe Warren, titulaire de la Chaire d’études sur le Québec, Université Concordia