Dans le cadre de sa présentation, Me André-Grégoire abordera sa pratique liant les traditions juridiques autochtones et le droit civil québécois, notamment sa participation dans la récente décision de la Cour suprême Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Procureur général) c. Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani‑Utenam) qui est un exemple de la nature sui generis des droits ancestraux et issus de traités et de leur difficile catégorisation dans le cadre du droit civil québécois. La perspective autochtone est de plus en plus reconnue par les tribunaux en tant que concept qui façonne le droit autochtone et qui permet de s’éloigner des concepts parfois stricts du droit civil pour comprendre le point de vue des Autochtones, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire.
En posant comme principe de départ que les lois autochtones s’apparentent davantage à un « mode de vie » qu’à un ensemble de règles prescrites, nous nous pencherons sur les moyens à emprunter pour favoriser leur compréhension en contexte (y compris des points de vue linguistique, foncier et relationnel). En outre, nous examinerons le concept selon lequel les lois sont vivantes et dynamiques, prenant appui sur des sources multiples et complémentaires de droit : du droit sacré, en passant par le droit naturel et le droit coutumier, jusqu’aux principes humains formulés en réponse à des circonstances particulières.
Dans une démarche de reconnaissance et de dialogue nécessaire avec les institutions étatiques, la nation Atikamekw Nehirowisiw doit traduire et faire correspondre leurs principes, concepts et savoirs juridiques par rapport au droit étatique. Inversement, dans les démarches de consultation auprès des membres de la nation, un autre exercice de traduction se réalise, soit de traduire les principes et concepts juridiques étatiques dans la langue et le système de pensée atikamekw nehirowisiw. Il s’agit d’exercices périlleux demandant du temps et de l’énergie et qui se fait majoritairement à sens unique dans la mesure où les institutions étatiques ne se consacrent pas vraiment à repenser leurs termes ni leurs principes pour les faire correspondre aux langues et systèmes de pensée autochtones. Nous souhaitons soulever ces enjeux de la traduction et de la correspondance qui se posent et qui devraient se faire à double sens.
Doris Farget, Faculté de science politique et de droit, UQAM; Nicolas Houde, Faculté de science politique et de droit, UQAM et Gabrielle Paul, Étudiante, science politique et études féministes, Université de Montréal
Résumé et synthèse de la présentation
Plusieurs communautés autochtones au Québec désirent actuellement se doter de constitutions qui reflètent leurs pratiques et traditions juridiques et qui sont acceptées par leurs membres. Pour ce faire, des recherches historiques, empiriques (par l’entremise d’entrevues et d’ateliers de groupes) et linguistiques sont entreprises afin de documenter ces traditions. Comme nous l’enseigne l’école de Victoria, cela comprend notamment l’analyse de pratiques, d’expériences, de récits et de légendes. L’objectif de notre présentation consistera à présenter les apports et les défis relatifs à la mobilisation des travaux développés par l’école de Victoria, en particulier ceux de Val Napoleon et de John Borrows, dans le cadre de projets de rédaction de constitutions initiés par des communautés autochtones sur le territoire qu’est aujourd’hui le Québec.
La reconnaissance du droit autochtone par les tribunaux canadiens présente des défis importants. Les tribunaux canadiens n’ont pas nécessairement la compétence et la légitimité pour se prononcer sur des questions de droit autochtone. La présente communication fera état de trois types d’interface qui permettent, à des degrés divers, de surmonter ces obstacles : (1) l’application directe du droit autochtone par les tribunaux, par exemple en matière d’élections; (2) l’intégration de valeurs autochtones dans un processus de décision fondé sur l’examen d’un ensemble de facteurs comme en matière de détermination de la peine; et (3) le contrôle judiciaire de décisions rendues par des organismes ou des processus autochtones de résolution des conflits.
Jean Leclair, Faculté de droit, Université de Montréal
Résumé et synthèse de la présentation
« Working against and alongside each other ». Cet aphorisme traduit avec éloquence le rapport dynamique qui se déploie, non seulement à l’échelle juridique et constitutionnelle, mais également à l’échelle sociale et politique, entre les ordres juridiques autochtones et non autochtones dans un contexte de pluralisme juridique. À la lumière des enseignements d’une vaste étude sur le pluralisme juridique menée au Canada et ailleurs, j’examinerai la nature des facteurs qui structurent le comportement des acteurs dans un contexte plurijuridique. Au nombre de ceux-ci, on compte l’influence des rapports intersystémiques sur le comportement des acteurs, l’appréhension par ces derniers de leur propre système juridique et de celui d’autrui, et, enfin, la spatialité de la diffusion de l’autorité des systèmes juridiques en présence.
La Constitution autochtone du Canada est une forme de guide programmatique visant à encourager et à orienter les juristes canadiens vers cet objectif. L’un des aspects de cette proposition, qui suscite beaucoup d’intérêt, fait ressortir le caractère accusatoire de la common law dans sa fonction judiciaire, et dans sa méthode, l’étude de cas. Dans mon exposé, je tenterai d’abord de clarifier la perspective du droit autochtone selon laquelle une intégration dans le système de droit canadien axée sur la notion de cas juridiques et la doctrine des précédents apparaît à la fois possible et inclusive. Ensuite, j’exposerai un autre point de départ qui aura pour effet de compliquer considérablement cette issue. De plus, je soulèverai un des arguments de l’argumentation de John Borrows qui a reçu beaucoup moins d’attention : l’engagement des organismes législatifs du Canada dans la promulgation du droit autochtone. Il est possible, surtout dans le contexte civiliste du Québec, d’envisager une approche très prometteuse qui met les juristes canadiens en contact avec le droit autochtone pour qu’ils puissent le comprendre et l’appliquer.
Geneviève Motard, Faculté de droit, Université Laval
Résumé et synthèse de la présentation
Cette communication proposera quelques réflexions sur le droit de la propriété et des ressources foncières au Québec et de son rapport aux traditions juridiques autochtones, dont le droit innu. Alors que certains principes fondamentaux des deux traditions juridiques entrent manifestement en conflit, d’autres semblent au contraire réconciliables. Il reste que le Québec laisse encore peu de place aux traditions juridiques autochtones. Dans la partie méridionale du territoire, l’affirmation de la propriété privée et de la propriété publique sans égard à toute forme de propriété autochtone, le principe du libre accès, les processus limités ou ad hoc d’implication des acteurs autochtones dans les prises de décisions de l’État font partie des éléments problématiques. Si plusieurs voies de réforme sont envisageables, nous souhaitons explorer deux avenues fort peu exploitées dans la doctrine, soit celle de l’affirmation de l’occupation territoriale autochtone et celle de l’aménagement du droit civil québécois de la propriété.
Joshua Nichols, Faculté de droit, Université de l’Alberta
Résumé et synthèse de la présentation
Il va sans dire que, depuis l’affaire Sparrow il y a trente ans, la doctrine de la Cour suprême en matière de droits ancestraux a été mise à rude épreuve à d’importants égards. De plus en plus, les revendications constitutionnelles des peuples autochtones sont formulées dans une perspective d’autodétermination, ce qui laisse entrevoir les limites de la doctrine enchâssée dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, les origines coloniales retranchent en leur base les ramifications les plus prometteuses de la doctrine, coupant court aux solutions constructives possibles. Dans cette communication, nous confronterons dans leurs similitudes le jugement Sparrow et le renvoi relatif à la sécession, mais examinerons aussi les approches diamétralement opposées adoptées par le tribunal dans les deux affaires, pour jeter un éclairage révélateur sur les présomptions tacites sur lesquelles repose l’interprétation de notre ordre constitutionnel par le tribunal. À la lumière de ces présomptions, il sera désormais possible de procéder à une nouvelle analyse raisonnée des motifs ayant amené le tribunal à élaborer deux cadres de réconciliation et, ce faisant, d’ouvrir la voie à une redéfinition éclairée de notre ordre constitutionnel diversifié, dans une perspective fédéraliste.
Ghislain Otis, Faculté de droit, Université d’Ottawa
Résumé et synthèse de la présentation
Cette communication s’attachera à situer l’approche qui caractérise les recherches de l’école dite de Victoria dans le cadre plus large de la théorie des sources ou des modes de production du droit. Elle abordera la question de savoir quel droit au juste permet de dégager la méthode consistant notamment à extraire un matériau normatif du corpus ethnographique consacré aux récits issus de la tradition orale des peuples autochtones. Nous nous demanderons quel rapport entretient cette démarche avec l’observation des pratiques normatives effectivement à l’œuvre dans le champ social au sein des collectivités concernées. Enfin, nous identifierons les moyens de mobiliser le savoir généré par la méthode de Victoria aux fins de la revitalisation ou de la valorisation des cultures juridiques autochtones dans la gouvernance de demain.
Depuis le 16 juin 2018, la coutume autochtone est reconnue officiellement au Québec en matière d’adoption et de tutelle supplétive. Dans un objectif de soutenir l’autorité compétente dans ses fonctions, une démarche empirique et ethnographique a été réalisée chez les atikamekw nehirowisiwok de Manawan. En considérant la perspective du pluralisme juridique qui prône l’existence de traditions juridiques dans toute société, le système coutumier sera présenté à partir du schéma d’intelligibilité dégagé par les chercheurs dans le cadre du projet Légitimus avec la Chaire de recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones sous la direction du professeur Ghislain Otis. Ce schéma contient cinq éléments fondamentaux commun à tout système juridique soit; les valeurs, les principes, les règles, les acteurs et les processus. L’approche épistémologique nehirowisiw, être relationnel, nous conduit au fondement par le biais de notcimik, l’univers forestier, qui constitue l’univers social.
L’honorableLorne Sossin, Cour d’appel de l’Ontario
Résumé et synthèse de la présentation
La gouvernance autochtone devrait-elle être soumise aux mêmes principes de droit administratif que les autres institutions publiques canadiennes? Les tribunaux établis en vertu des pouvoirs délégués des Premières Nations ou du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones peuvent-ils mettre en application les principes juridiques autochtones (et les personnes soumises à leurs décisions doivent-elles absolument être autochtones)? Les autres tribunaux établis en vertu des lois fédérales, provinciales ou territoriales peuvent-ils appliquer le droit autochtone et, le cas échéant, en vertu de quels pouvoirs, selon quelle interprétation et sous quelle surveillance? En prenant comme point de départ les observations de John Borrows sur le « multijuridisme », nous examinerons ces questions dans le respect des principes du droit public canadien et du droit autochtone. Pour reprendre les termes de Borrows dans La Constitution autochtone, la cohabitation de systèmes juridiques multiples fait partie de la tradition canadienne.
Nadine Vollant, Directrice des services sociaux d’Uauitshitun, CSSS de la communauté innue d’Uashat mak Mani-Utenam
Résumé et synthèse de la présentation
La reconnaissance du droit coutumier autochtone, par le Code civil du Québec, et de la compétence en matière de protection de la jeunesse, par le Parlement fédéral, aux organismes autochtones ouvrent manifestement la voie à la prise en compte des traditions juridiques autochtones par les tribunaux québécois et, plus particulièrement, par les organismes et tribunaux spécialisés chargés de la protection et des droits de l’enfant et de la jeunesse. Parallèlement, cela ouvre la voie, à l’instar de ce qui prévaut aux États-Unis, à la mise sur pied de tribunaux autochtones. À partir d’une approche issue du travail social et de la perspective innue, la communication proposera un état des lieux sur ces initiatives en les mettant en lien avec le principe d’autodétermination au cœur de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Christine Zuni-Cruz, École de droit, Université du Nouveau Mexique
Résumé et synthèse de la présentation
Les traditions juridiques autochtones existent depuis des temps immémoriaux. Les traditions juridiques autochtones, de même que leurs textes uniques, sont demeurées dans l’ombre des autres traditions juridiques, faute d’une réelle volonté de les décoder. Dans cette communication, nous examinerons les constatations de John Borrows concernant le rôle des tribunaux dans la reconnaissance et la mise en œuvre des traditions juridiques autochtones de même que leur incapacité, de façon générale, de se montrer à la hauteur. En accord avec Borrows, mais critiquant les tribunaux, nous soulignerons la gravité et l’urgence de la tâche en examinant le lien entre les traditions juridiques et les attentes envers des tribunaux. Je suis parvenue à cette conception des tribunaux étatiques après avoir observé pendant des années les systèmes judiciaires tribaux aux États-Unis qui œuvrent dans la tradition juridique de common law de ce pays. Dans le cadre de mon analyse, je me pencherai sur le travail fait par les tribunaux et les enjeux à prévoir, pour les peuples autochtones, si des efforts en faveur du respect des traditions juridiques autochtones ne sont pas déployés.